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Exemple concret

Expérience d’une professeur de français avec le forum Gulliver

Avant de me lancer dans le projet avec une classe de 14 lycéens tchèques, je me suis posé les questions suivantes:

  1. Gulliver correspond-il aux objectifs actuels de l'enseignement d'une langue étrangère?
  2. Est-il possible d'intégrer Gulliver dans nos programmes d'enseignement sans faire trop de travail supplémentaire?
  3. Gulliver peut-il m'aider à rendre les cours langues de plus efficaces?
  4. Gulliver peut-il renforcer l'autonomie de mes élèves?
  5. Gulliver permet-il de développer réellement la compétence communicative interculturelle dans une classe de langues?

Deux ans de travail avec Gulliver se sont maintenant écoulés et je souhaite vous raconter mon expérience.

Comment ai-je atteint les objectifs actuels de l'apprentissage des langues étrangères à l'aide du projet Gulliver?

Dans une classe de langues, je rencontre les mêmes problèmes que beaucoup de mes collègues. Les élèves de ma classe apprennent deux langues étrangères. L'anglais est leur première, le français leur deuxième langue étrangère. Certains parmi eux pensent: un travail à l'école de plus. La réalité des liens économiques et culturels entre les différents pays d'Europe, qui demande une bonne connaissance de plusieurs langues étrangères, reste pour mes élèves trop éloignée et théorique. Pour eux, c'est une matière à l'école, les devoirs, les exercices...

La société demande pourtant que l'apprentissage des langues à l'école soit rapide et complexe et qu'il donne des utilisateurs autonomes de plusieurs langues étrangères. Pour atteindre cet objectif, il faut que la communication scolaire soit enrichie d'un vrai contact avec l'environnement socioculturel où l'élève peut utiliser la langue dans des situations de communication réelles. Certes, il y des possibilités, par exemple les échanges scolaires, mais Gulliver, un projet de communication sur un forum Internet avec les élèves d'autres pays d'Europe, était pour nous moins coûteux et surtout a assuré le contact permanent. Avec Gulliver, nous avons rencontré beaucoup de jeunes de plusieurs pays, chose impossible pour nous au cours d'un voyage scolaire. Et notre voyage virtuel était bien pratique. D'abord, quand nous avons voulu indiquer sur la carte d'Europe tous les pays participant au projet, nous avons constaté qu'il fallait rafraîchir dans la classe les connaissances en géographie. Pour mes élèves, il n'était pas tout à fait évident où se trouve la Lituanie ou l'Arménie. A ce moment-là, ils se sont posé la question: cela posait-il le même problème pour les jeunes Grecs ou Estoniens de trouver sur la carte la petite République tchèque?

Et regardant et lisant les présentations des autres élèves, ils ne se sont pas limités à une seule langue de communication. Pour communiquer et se comprendre mutuellement, il fallait mobiliser toutes les connaissances et compétences acquises à l'école.

Comment ai-je intégré le projet Gulliver dans les programmes d'enseignement de langue étrangère?

La conception du forum, ses trois axes avec cinq thèmes chacun, correspondait parfaitement au contenu de nos programmes. Des questions posées dans le forum ont traité différemment des thèmes de nos manuels. Les textes n'étaient pas préparés par les auteurs du manuel ou par l'enseignant, mais par les élèves eux-mêmes. Enfin, ils ont lu ce que leurs camarades ont écrit. Et quel plaisir de trouver sur Internet son propre texte ou une réponse!

Je n'ai pas abandonné l'objectif principal de l'enseignement d'une langue étrangère – l'acquisition progressive de la langue et l'autonomie en la pratiquant. La communication sur le forum s'est réalisée par des textes écrits directement devant l'écran de l'ordinateur. Cependant, comme nous avons un nombre limité d'ordinateurs, nous avons souvent travaillé avec des textes imprimés. Les deux compétences principalement développées étaient la compréhension et la production du texte écrit. Les compétences orales n'étaient pas pour autant négligées. Nous avons cherché le sens des contributions choisies en classe et nous avons aussi longuement discuté avant d'envoyer la nôtre. Et comme le choix des thèmes était libre, les élèves étaient plus motivés.

Comment nos cours de français ont-ils changé?

J'essaie d'introduire dans mes cours de français des activités qui rendent le travail plus intéressant et motivant. Gulliver m'a offert quelque chose de plus. Cette fois, ce sont mes élèves qui ont choisi et organisé le travail.

La communication avec les élèves de différents pays linguistiques a exigé des compétences assez compliquées. Celles de la morphologie, du lexique et de la syntaxe, mais aussi pour une large part des connaissances socioculturelles. L'élève applique non seulement ses connaissances. Il montre sa capacité à l'interaction et à la communication générale. Il développe des stratégies applicables dans tout apprentissage.

Pour commencer notre travail sur le forum, il fallait organiser notre classe. Les élèves ont formé des groupes de quatre personnes. Quand je leur ai expliqué qu'ils liraient et écriraient librement selon leur choix, ils ont bien réfléchi à la manière de partager le travail dans le groupe pour que chacun fasse quelque chose. Ce qui m'a étonné, c'est que le côté formel était très important pour eux – la couleur du dossier, la présentation graphique du texte, etc. Ils ont beaucoup aimé cette liberté et ont commencé le travail avec un grand enthousiasme, Gulliver étant un nouvel élément dans l'apprentissage. Il est vrai qu'avec le temps, cet enthousiasme a diminué, mais ils ont gardé certaines habitudes – être responsable de son travail, partager le travail avec les autres, respecter le plan et son calendrier. Ils ont un peu oublié que la communication sur le forum faisait partie de leur apprentissage. La langue n'était plus un ensemble de règles, mais un vrai moyen de communication.

Si l'élève, pendant un cours de langue, ne comprend pas un texte du manuel ou s'il ne peut pas formuler son propre texte, que fait-il? Il se tait, il a peur de faire une faute, de se tromper et redoute une mauvaise note. En travaillant dans le projet Gulliver, les élèves ont posé tout naturellement des questions, ils ont sollicité l'aide des camarades de classe et de l'enseignant. Ils ont également très bien su distinguer le matériel déjà étudié, mais pas suffisamment acquis (la phrase «je sais, nous l'avons déjà fait, mais j'ai oublié» revenait fréquemment) du nouveau matériel nécessaire à la réalisation de la contribution (le lexique des thèmes, la phrase conditionnelle, etc.). Gulliver n'a pourtant pas demandé de charge supplémentaire au programme. Il a suffi de réorganiser le programme selon la demande des élèves réagissant aux situations de communication. Et cela semble être une très bonne motivation d'apprentissage. L'apprenant qui peut choisir librement entre les textes d'un thème, ainsi que la manière de sa propre production de texte, contribue au processus d'apprentissage et devient plus autonome.
Gulliver, à la différence des manuels scolaires, n'a pas imposé de textes. Il a offert une possibilité de communication et la communication scolaire s'est transformée en communication réelle avec un interlocuteur concret dont l'intérêt ressort d'une curiosité personnelle.

Par exemple, quand mes élèves ont voulu faire un texte sur le thème «Quelle est la personne que tu admires», ils ont longuement discuté. Présenter un acteur, un chanteur, ou bien un sportif? Chacun avait ses préférences, «son héros», son modèle idéal. Personne n'a voulu accepter le choix de son camarade. Pour le cours de langue, c'était une situation idéale. Tout le monde a travaillé d'après le même schéma: le texte avec la présentation, description et justification du choix. Ils l'ont modifié en fonction de la personnalité concrète qu'ils avaient choisie.
En plus, ce travail m'a permis de voir sur quelle échelle se situent les valeurs que mes élèves estiment le plus.

Et les élèves aussi ont pu faire les mêmes observations auprès des autres participants. Ainsi, mes élèves ont été surpris par le choix fait par d'autres intervenants. Ils n'ont pas pensé aux personnalités comme le Pape, le choix des jeunes Polonais, ou ils ont découvert les noms des chanteurs grecs qui sont très connus de leurs camarades grecs, mais que nous n'entendons pas à la radio tchèque.

Comment mes élèves sont-ils devenus plus autonomes?

Nous, enseignants en langues, nous posons souvent des questions concernant l'organisation de nos cours. Comment préparer les leçons pour qu'elles correspondent aux styles individuels d'apprentissage, aux rythmes de travail et aux intérêts de chacun de nos élèves, comment renforcer leur autonomie dans l'apprentissage?

Dès le début, mes élèves ont surtout aimé la liberté du travail sur le forum Gulliver. Bientôt, ils ont compris que cette communication demande aussi du travail. Certains ont même constaté qu'ils avaient plus de travail qu'auparavant. Mais c'était eux-mêmes qui demandaient ce travail, le vocabulaire détaillé, la grammaire précise, les phrases compliquées. Je les aidais à réutiliser tout ce qu'ils avaient déjà appris.

L'élève pouvait choisir le texte selon plusieurs critères. Il pouvait négliger les thèmes qui ne l'attiraient pas, mais par contre en lire plusieurs qui l'intéressaient, et aussi lire dans plusieurs langues. Les élèves voulaient savoir comment les autres avaient contribué à la discussion sur les thèmes qu'ils avaient eux-mêmes choisis. Dans d'autres cas, ils choisissaient d'après le pays d'origine et lisaient toutes les contributions d'une classe sur tous les thèmes, car elles avaient le même niveau de langue et étaient donc bien compréhensibles. Le niveau linguistique s'est montré un critère très important pour le choix. Les textes trop longs et difficiles décourageaient certains élèves qui n'avaient même plus envie d'essayer de les lire.
Chaque élève choisissait aussi son rythme de travail. Il pouvait lire à plusieurs reprises, travailler avec le texte hors de la classe, lire pour la compréhension globale ou travailler avec le dictionnaire et traduire le texte en langue maternelle. Ainsi, en préparant son intervention, il choisissait son rythme. C'est lui qui décidait à quel moment le texte avait sa forme définitive.

Il pouvait travailler seul ou avec un camarade, utiliser le dictionnaire, demander conseil à l'enseignant, quelquefois même abandonner le texte pour en prendre un autre. En répétant les stratégies les plus efficaces, il développait la compétence stratégique nécessaire à l'apprentissage non seulement d'une langue étrangère, mais à l'apprentissage en général.

Gulliver a amené les élèves à l'autocontrôle, l'auto-évaluation et l'auto-apprentissage, donc à l'autonomie dans le processus d'apprentissage, et pas seulement du français.

Comment avons-nous développé la communication interculturelle et le plurilinguisme dans nos cours?

En s'orientant vers le développement de la communication interculturelle, Gulliver a permis de réaliser ce que nous attendons de l'enseignement d'une langue étrangère, c'est-à-dire créer à l'école le contexte proche de la communication réelle et devenir le lieu de rencontres interculturelles où l'élève profitera de ses connaissances pluriculturelles et plurilingues, ce qui est actuellement encore relativement rare dans les cours de langues. Les élèves n'ont pas communiqué avec les locuteurs natifs, donc ils n'ont pas cherché la découverte de la culture de la langue, mais celle du locuteur.

Avant de trouver le texte d'une nouvelle contribution en langue française, il fallait parcourir toutes les autres interventions faites sur ce thème. Les élèves ont alors vu toutes les contributions en toutes les langues, la fréquence des interventions des pays participants ou bien la fréquence des interventions d'un élève concret. C'était la meilleure invitation à en ouvrir quelques-unes et à les lire. Ainsi, la moindre compétence en langue a été valorisée. La curiosité s'est révélée être une excellente motivation d'apprentissage des langues.

Par exemple, en lisant les textes du thème «Que fais-tu hors de ton travail scolaire», mes élèves ont, pour la première fois lors d'un cours de langues, travaillé avec deux types de textes. Ils ont lu tous les textes en français parce qu'ils ont travaillé sur le projet pendant les cours de français, mais ils ont également lu les textes des autres participants en anglais, en espagnol ou en allemand, chacun selon ses capacités personnelles. Pour la première fois, le plurilinguisme de mes élèves est devenu une partie naturelle du processus d'apprentissage d'une langue étrangère. Nous n'avons pas écarté la deuxième langue de nos cours; bien au contraire, nous en avons profité.

A l'école, l'élève découvre la vie du pays de la langue étudiée par le biais des stéréotypes choisis par les auteurs des manuels ou bien grâce aux documents authentiques choisis par l'enseignant.

Pendant le déroulement du projet, nous avons découvert que la communication est interrompue non seulement à cause des obstacles linguistiques, mais aussi par l'absence de compétence communicative interculturelle. L'élève qui ne comprend pas pose des questions. En apprenant comment vivent les autres, il a découvert les limites de sa culture. Gulliver a permis d'observer les codes de comportement qui sont différents selon les pays.

La communication n'était pas tout à fait spontanée. Les élèves modifiaient leur expression selon les limites linguistiques et tenaient également compte des différences culturelles pour rendre le message compréhensible. Cette capacité d'autocontrôle, ce respect de l'interlocuteur a créé la vraie communication interculturelle.

Le projet du forum Gulliver est fini pour nous. Cependant, je vois encore combien l'apprentissage basé sur la vraie motivation et les émotions personnelles est efficace. Encore aujourd'hui, quand nous rencontrons dans notre travail un sujet qui rappelle un thème de Gulliver, mes élèves réagissent immédiatement: «Ça, nous l'avons fait pour Gulliver!», «Ça, nous l'avons lu dans une contribution polonaise ou grecque!» et ils me répètent les textes qu'ils avaient mis dans leurs dossiers.
Nous travaillons déjà à un autre projet et, cette fois, il a été assez facile d'organiser le travail. Nous restons même dans le thème de l'interculturel et dans le plurilinguisme (nous préparons un bulletin d'informations en quatre langues pour nos villes jumelées à l'occasion de l'anniversaire de notre ville). Nous avons appris à travailler grâce à Gulliver.

Jirina Zahradníková
République tchèque

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