par
Johanna Kapitánffy
L’école
L’école secondaire générale
hongro-anglaise Táncsics Mihály est située
à Budapest. Il s'agit d'une école secondaire
à quatre niveaux qui reçoit des élèves
âgés de 14 à 15 ans, mais elle offre
également aux élèves du même
âge un programme bilingue sur cinq ans appelé
en hongrois « kéttannyelvu oktatás »
(KTO). Dans ce document, j’utilise le sigle KTO pour
désigner le type d’enseignement bilingue en
place dans le contexte hongrois.
L’éducation KTO signifie qu’en plus
de la langue maternelle (le hongrois), on utilise une autre
langue comme support d’instruction dans l’enseignement
et l’apprentissage d’au moins trois matières.
Contrairement aux programmes bilingues dans de nombreux
pays, la langue supplémentaire n’est pas une
deuxième langue pour les élèves, mais
une langue étrangère et ils n’ont pas
l’opportunité de l’utiliser en dehors
de l’école. En réalité, sous
plusieurs aspects, l’éducation KTO hongroise
est similaire à l’enseignement d’une
matière par l’intégration d’une
langue étrangère (CLIL/EMILE), défini
comme « tout contexte éducatif à double
centre d’intérêt dans lequel une autre
langue, qui n’est jusque-là généralement
pas la première langue des apprenants concernés,
est utilisée comme support dans l’enseignement
et l’apprentissage de contenus indépendants
de la langue. … S’il n’y a pas de double
centre d’intérêt sur les contenus liés
et non liés à la langue au sein d’une
leçon ou d’un cours, on ne peut pas la considérer
comme une forme de CLIL/EMILE. » (Marsh, 2002:15-17).
Táncsics organise ce programme pour une classe (environ
36 élèves) chaque année. Les matières
concernées par le programme KTO sont les mathématiques,
la physique, la musique, le dessin et les arts. Les classes
sont réparties en deux groupes dans ces leçons,
comme prescrit dans les Lignes directrices pour une politique
d’enseignement bilingue (détaillées
ci-après).
L’école a été fondée
il y a 41 ans et, dès la fin des années 1970,
elle a accordé une attention particulière
à l’enseignement des langues étrangères,
en plus de la langue russe obligatoire. Cela signifie que
tous les élèves de Táncsics apprenaient
deux langues vivantes étrangères, le russe,
qui était obligatoire et qu’ils avaient déjà
commencé à l’école primaire,
et une autre langue de leur choix parmi l’anglais,
le français, l’allemand et l’espagnol.
A l’époque, l’école était
tout à fait exceptionnelle, car les élèves
avaient 5 à 7 leçons par semaine pour la deuxième
langue étrangère (en dehors du russe). Grâce
à ce programme et au niveau élevé de
formation et de motivation du personnel enseignant et non
enseignant, Táncsics a toujours eu une très
bonne réputation en tant qu’école secondaire
avec un programme linguistique fort.
L’école emploie 65 enseignants à temps
plein et, parmi ceux-ci, 27 sont des enseignants en langues
(41,5% du personnel enseignant). Il est important de savoir
que les enseignants du secondaire en Hongrie enseignent
généralement deux matières (parfois
même trois) à la suite de leurs études
universitaires, où ils étudient en général
deux matières principales. Bien entendu, parmi les
27 enseignants en langues, il existe des enseignants dont
la deuxième matière n’est pas une langue,
tandis que les autres enseignent deux langues vivantes.
L’école compte environ 650 élèves
et il y a quatre classes en parallèle pour chaque
niveau, avec environ 35 élèves par classe.
Chaque classe a un profil spécifique. Comme expliqué
plus en détail ci-après, il y a une classe
bilingue hongrois-anglais, une autre classe spéciale
de langues avec 6 cours hebdomadaires de langues étrangères
(la première langue étrangère est l’anglais
pour la moitié des élèves et l’espagnol
pour l’autre moitié), une classe spécialisée
en biologie et une classe où la moitié des
élèves étudient les mathématiques
avancées, tandis que l’autre moitié
se spécialise en technologies de l’information.
Le travail pédagogique des enseignants est soutenu
à Táncsics par les différentes équipes
d’enseignants organisées par matières.
Pour les langues étrangères, il existe deux
équipes : une regroupant les enseignants d’anglais
et d’allemand et l’autre regroupant les enseignants
de français, d’italien, d’espagnol et
de russe. Les deux équipes travaillent en étroite
collaboration et tiennent une réunion conjointe tous
les deux mois.
Les équipes d’enseignants par matières
tiennent généralement une réunion par
mois, au cours de laquelle ils discutent de questions actuelles.
Chaque équipe a un responsable, qui est chargé
du travail professionnel de l’équipe. Les équipes
organisent des observations par des collègues et
le responsable d’équipe assiste à au
moins un cours par enseignant chaque année scolaire.
Les enseignants eux-mêmes considèrent les observations
recueillies par leurs collègues comme extrêmement
utiles dans la perspective de leur développement
professionnel.
Avant d’entrer dans les détails sur la mise
en place de ce projet et sur l’organisation du programme
bilingue, il serait utile de fournir quelques informations
d’ordre général sur le système
éducatif hongrois.
Statut et répartition des langues
étrangères dans l’enseignement obligatoire
en Hongrie
Jusqu’en 1989, lorsque le régime communiste
en Hongrie s’est effondré, l’enseignement
du russe était obligatoire pour tous les élèves
du primaire et du secondaire. Mis à part quelques
écoles primaires spécialisées dans
les langues, seules les écoles secondaires générales
(gymnasium) offraient une seconde langue étrangère
(occidentale), « ce qui signifiait qu’environ
15% de tous les élèves du secondaire avaient
l’opportunité d’apprendre le russe et
une autre langue » (Vágó, 1999:26).
Maintenant que le russe n’est plus obligatoire, les
écoliers hongrois peuvent choisir (ce sont souvent
les parents qui décident) la langue étrangère
qu’ils veulent apprendre parmi celles proposées
dans le curriculum de l’école à laquelle
ils sont inscrits. Ce libre choix des langues, ainsi qu’une
compétition accrue pour attirer les élèves
en raison de leur nombre décroissant, forcent les
écoles à satisfaire, avant tout, les exigences
des parents et des enfants concernant l’offre en langues
étrangères. Cela signifie que la concurrence
joue un rôle décisif dans la répartition
des langues étrangères dans les écoles
et il en résulte que la suprématie de l’anglais
se renforce d’année en année. Les deux
tableaux suivants montrent les changements fondamentaux
dans la répartition des langues étrangères
aux niveaux primaire et secondaire entre 1989 et 2003.
Tableau 1 : Répartition des langues étrangères
dans les écoles primaires de Hongrie
Année
scolaire |
Anglais |
Allemand |
Français |
Russe |
Autre |
1989/90 |
4% |
5% |
0.4% |
89.0% |
1.6% |
1992/93 |
32% |
45.9% |
1.7% |
19.4% |
1.0% |
1997/98 |
43.7% |
52.9% |
1.2% |
1.2% |
1.0% |
1999/00 |
47.7% |
49.0% |
1.0% |
0.8% |
1.5% |
2003/04 |
58.1% |
40.1% |
0.5% |
0.3% |
1.0% |
(Csécsi, 2003/2004)
Tableau 2 : Répartition des langues étrangères
au niveau secondaire en Hongrie
Année
scolaire |
Anglais |
Allemand |
Français |
Russe |
Autre |
1989/90 |
21.8% |
17.8% |
4.4% |
51.8% |
4.2% |
1992/93 |
40.2% |
35.7% |
6.2% |
13.2% |
4.7% |
1997/98 |
46.6% |
39.8% |
5.5% |
1.8% |
6.3% |
1999/00 |
48.2% |
39.6% |
5.1% |
0.9% |
6.2% |
2003/04 |
51.8% |
37.4% |
4.5% |
0.4% |
5.9% |
(Csécsi, 2003/2004)
Le comptage des élèves au
niveau primaire comme secondaire s’effectue selon
le nombre de langues qu’ils apprennent. Ceci explique
pourquoi, en 1989/90, le pourcentage du russe est inférieur
à 100%, bien que cette année ait été
la dernière pour laquelle cette langue était
obligatoire pour tous. Les chiffres montrent la baisse
brutale de la part du russe dans le curriculum, qui est
devenu nettement inférieure à 1 pour cent
en 2003/04, et la stabilité de la progression de
l’anglais au cours des 15 dernières années.
Entre 1990 et 2000, l’allemand, qui est considéré
comme une lingua franca régionale en Europe centrale,
était devenu la langue étrangère
la plus populaire dans l’enseignement primaire.
Cependant, depuis cette période, la part de l’anglais
a augmenté progressivement à ce niveau et,
en conséquence, l’allemand a perdu du terrain.
Au niveau secondaire, l’anglais a toujours eu la
position la plus forte depuis 1990 et sa part dans le
curriculum s’accroît.
Globalement, le statut de l’anglais
dans l’éducation publique en Hongrie reflète
les mêmes tendances que dans les autres pays d’Europe
et la déclaration suivante est également
applicable à la situation en Hongrie :
« Que l’on pense ou non que
l’anglais « menace » l’Europe
d’une homogénéité linguistique,
il n’en reste pas moins vrai que les représentations
sociales dominantes attribuent toutes les vertus à
cette langue (pour son utilisation, la communication,
les nouvelles technologies, etc.) et contribuent ainsi
à répandre une idéologie monolingue…
L’anglais ne joue donc pas seulement le rôle
d’une langue de communication, mais il a également
une valeur propre, en tant que langue d’un modèle
de vie ou d’une société. ».
(Beacco et Byram, 2003: 28)
Dans la seconde moitié des années
1970 et plus encore dans les années 1980, plusieurs
enquêtes ont indiqué que le faible niveau
de compétences en langues étrangères
dans la population adulte de Hongrie était fort
alarmant.
« Cela peut s’expliquer pour
différentes raisons : tout d’abord, l’isolation
du pays pendant plusieurs décennies, mais aussi
l’absence de demande du marché du travail
sur ce point et la relative inefficacité de l’enseignement
obligatoire du russe. »
(Halász and Lannert, 1997:43)
La demande en enseignement des langues occidentales
a commencé à croître très fortement
dans les années 1970 et 1980. A cette époque,
l’abolition de l’enseignement obligatoire du
russe était hors de question et il fallait trouver
d’autres solutions, parmi lesquelles l’introduction
de programmes d’éducation bilingue désignés
par le sigle KTO en hongrois.
Les premières écoles secondaires
générales bilingues en Hongrie ont été
fondées en 1987. Des programmes KTO ont été
lancés en anglais, français, allemand, espagnol
et italien et trois écoles secondaires générales
ont lancé un programme bilingue russe-hongrois (Vámos,
1998). Aujourd’hui, il ne reste qu’une seule
école bilingue russe-hongrois, située à
Budapest. Depuis le début des années 1990,
tous les types d’école (à l’exception
des organismes de formation professionnelle) ont lancé
de tels programmes, aux niveaux primaire et secondaire.
Si l’on ne regarde que les écoles de niveau
secondaire, pendant l’année scolaire 1999/2000,
56% des étudiants des programmes bilingues ont intégré
des écoles secondaires générales, tandis
que 44% ont intégré des écoles secondaires
professionnelles. De telles écoles secondaires fonctionnent
dans toutes les régions de Hongrie. L’éducation
secondaire bilingue est proposée par environ 10%
de toutes les écoles secondaires, en général
à hauteur d’une classe par niveau. Rapporté
au nombre total d’élèves du secondaire,
environ 2 à 3 pour cent prennent part à un
programme bilingue.
Tableau 3 : Nombre d’écoles en
langue étrangère de Hongrie et nombre d’élèves
entre 2001 et 2004 en Hongrie
Niveau |
2001/2002 |
2002/2003 |
2003/2004 |
|
Nombre d’écoles |
Nombre d’élèves |
Nombre d’écoles |
Nombre d’élèves |
Nombre d’écoles |
Nombre d’élèves |
Niveau primaire
1 à 8
|
68 |
11 382 |
68 |
13 269 |
76 |
14 937 |
Niveau secondaire
9 à 13
|
93 |
14 015 |
101 |
14 037 |
98 |
15 352 |
(Csécsi, 2003/2004)
Environ 50% des programmes bilingues du secondaire
sont proposés en anglais et 30% en allemand. Ceci
reflète plus ou moins la même répartition
des langues que dans le tableau 2 et indique que sous cette
forme d’éducation, l’anglais conserve
également une position dominante.
L’enseignement bilingue ou KTO est régi par
un document du ministère de l’Education appelé
« Lignes directrices pour une politique d’enseignement
bilingue ». L’application de ces principes n’est
pas obligatoire, mais le budget central n’alloue des
fonds supplémentaires (appelés financement
bilingue normatif) qu’aux écoles qui suivent
ces lignes directrices. Grâce à ce financement
supplémentaire, les institutions bilingues reçoivent
un financement normatif par élève qui est
supérieur de 30% à celui des institutions
non bilingues. Les principes fondamentaux contenus dans
ce document sont les suivants :
- les écoles offrant un programme bilingue doivent
employer un enseignant dont la langue maternelle est la
langue étrangère choisie pour le programme
;
- le nombre d’élèves ne doit pas
dépasser 18 dans les cours de langue étrangère,
ni dans les cours pour lesquels l’outil d’instruction
est la langue étrangère. Cela signifie qu’il
faut répartir les classes en deux groupes pour
ces leçons (le nombre normal d’élèves
par classe est compris entre 30 et 36) ;
- l’école a le droit de décider des
matières qui seront concernées par le programme
bilingue ;
- au moins trois matières doivent être apprises/enseignées
dans la langue étrangère. La proportion
de temps consacré aux cours en langue étrangère
et aux matières enseignées dans la langue
étrangère ne doit pas être inférieure
à 35% de la durée totale du curriculum.
Dans le cas de l’éducation bilingue précoce
au niveau primaire (les huit premiers niveaux), cette
proportion ne doit pas dépasser 50% ;
- sauf pour la langue et la littérature hongroise,
toute autre matière peut être apprise/enseignée
dans la langue étrangère ;
- à la fin de leurs études secondaires,
les élèves ont le droit de passer l’examen
de fin d’école secondaire dans la langue
étrangère qui était leur outil d’instruction
;
- un programme bilingue ne peut pas démarrer après
le neuvième niveau de l’éducation
obligatoire ;
- en sus de la langue étrangère utilisée
comme outil d’instruction, les programmes bilingues
doivent également proposer une autre langue étrangère
;
- les programmes bilingues doivent inclure l’enseignement/l’apprentissage
de connaissances culturelles sur les pays dans lesquels
la ou les langues cibles sont parlées.
Les Lignes directrices distinguent trois types d’éducation
bilingue au niveau secondaire :
- des programmes sur quatre ans après les huit
années d’école primaire pour les élèves
âgés de 14 à 15 ans dont les compétences
en langue étrangère leur permettent d’apprendre
les matières enseignées dans la langue étrangère
sans devoir passer par une année préparatoire
intensive. Bien entendu, il n’existe que peu d’écoles
qui offrent cette version de l’éducation
bilingue ;
- des programmes sur six ans après six années
d’école primaire pour les élèves
âgés de 12 à 13 ans. Durant les deux
premières années (niveaux 7 et 8), les élèves
suivent un cours intensif dans la langue étrangère
concernée, avec un assez grand nombre de cours
en langue étrangère en plus de l’apprentissage
des autres matières déterminées par
le programme de base en Hongrie. Ils commencent à
apprendre certaines matières dans la langue étrangère
à partir du niveau 9. Il n’existe que peu
d’écoles secondaires qui offrent un tel programme
dans toute la Hongrie, car comme il existe une réglementation
stricte sur le nombre maximum de cours qu’un élève
peut suivre dans une journée, il est extrêmement
difficile d’organiser ce type de programme ;
- des programmes sur cinq ans après les huit années
d’école primaire pour les élèves
âgés de 14 à 15 ans dont les compétences
en langue étrangère ne leur permettent pas
d’apprendre les matières enseignées
dans la langue étrangère. En conséquence,
ces élèves passent leur examen de fin d’école
secondaire à la fin du niveau 13, alors que la
majorité des élèves qui suivent l’éducation
non-KTO le passent à la fin du niveau 12, étant
entendu que l’enseignement obligatoire dure 12 ans
en Hongrie. En réalité, la loi LXXIX de
1993 sur l’Education publique permet aux élèves
des programmes KTO de passer leur examen final à
la fin de la treizième année, c’est-à-dire
que pour eux, l’enseignement obligatoire dure une
année de plus. Au cours de la première année
du programme (niveau 9), ils reçoivent une formation
intensive à la langue étrangère (18
à 20 cours par semaine) avec l’objectif de
leur permettre de commencer l’apprentissage des
contenus dans la langue étrangère à
partir du niveau 10.
Mise en œuvre du programme bilingue
à Táncsics
Le programme bilingue a été mis en place
à Táncsics en 2002, les élèves
bilingues les plus âgés sont donc présentement
au niveau 11 et ils ont encore deux ans avant de passer
leur examen final de fin d’école secondaire.
Au début, il y a eu une phase préparatoire
sur deux ans pendant laquelle l’école et le
personnel enseignant se sont préparés au nouveau
programme.
Les enseignants ont particulièrement insisté
sur la mise en place d’une période préparatoire
avant le commencement du programme bilingue proprement dit.
Tout d’abord, ils devaient décider quelle langue
choisir comme autre outil d’instruction en plus du
hongrois pour leur programme KTO :
« La pression en faveur de l’anglais était
si forte que nous n’avons même pas pensé
à choisir une autre langue. Les parents voulaient
l’anglais et cette langue était parlée
par la plupart des enseignants qui parlaient une langue
étrangère. Il aurait été très
difficile de trouver, et plus encore de recruter, des
enseignants pour les matières en langue étrangère
qui parlaient une langue moins couramment utilisée.
».
(H.E., enseignant à Táncsics)
Le personnel voulait bénéficier du fait qu’à
cette époque, plusieurs programmes bilingues hongrois-anglais
s’étaient déroulés depuis 12
ou 13 ans en Hongrie, ce qui avait généré
une forte expérience de la part des enseignants comme
de l’encadrement des écoles. En conséquence,
les enseignants de Táncsics ont contacté certaines
des écoles secondaires générales bilingues
possédant une bonne réputation et ont consulté
leur curriculum, assisté à des cours dans
ces écoles et organisé des réunions
avec leur personnel enseignant. Entre-temps, l’école
devait trouver un locuteur natif de l’anglais possédant
une qualification d’enseignant, pour l’employer
conformément aux directives des Lignes directrices
citées précédemment. Il a fallu à
l’école presque deux ans pour trouver l’enseignant
adéquat.
Cependant, le plus grand défi consistait à
trouver les enseignants dans les matières non linguistiques
qui voudraient, et pourraient, enseigner leurs matières
en anglais, plus précisément à trouver
ceux qui enseigneraient leurs matières avec le double
centre d’intérêt caractéristique
au KTO, à savoir se concentrer en partie sur la langue
étrangère et en partie sur le contenu de la
matière. Les enseignants devaient posséder
un assez bon niveau d’anglais et être désireux
d’améliorer leurs compétences linguistiques
et de participer aux cours de formation initiale et continue
sur la méthodologie du KTO. En appliquant cette méthodologie,
les enseignants doivent consacrer un certain pourcentage
de chaque cours KTO à la langue, à enseigner
du vocabulaire, vérifier la compréhension,
etc. Le temps passé sur la langue, et non sur le
contenu, varie selon les cours, en fonction des besoins
des élèves :
« Lorsque vous enseignez une matière dans
une langue qui n’est pas la langue maternelle des
élèves, vous ne pouvez tout simplement pas
entrer dans la salle de classe et faire comme pour un
cours non-KTO. Dans un cours KTO, vous êtes pour
moitié un enseignant en langues et pour moitié
un enseignant de la matière considérée.
Il me faut deux fois plus de temps pour préparer
un cours KTO que pour un cours non-KTO. ».
(Sz. P., enseignant du programme de Táncsics)
En réalité, la décision sur le niveau
du curriculum concernant les matières à enseigner
en anglais dépend des ressources en enseignants à
Táncsics. Au moment du lancement du nouveau programme,
l’école avait recruté trois nouveaux
enseignants (de mathématiques, de musique et un enseignant
de langue maternelle anglaise) afin de créer le groupe
de collègues qui travaillerait sur le programme.
L’étape finale de la phase préparatoire
a consisté pour les enseignants travaillant sur le
nouveau programme (qu’ils soient ou non enseignants
en langues) à concevoir le curriculum de l’éducation
bilingue à Táncsics. Ce groupe joue un rôle
très important dans la définition et le développement
du programme. Il se réunit une fois par semaine pour
discuter des diverses questions concernant les différentes
classes bilingues prises individuellement et collectivement
et, si nécessaire, des problèmes individuels
des élèves.
Le curriculum KTO
Selon le curriculum, les buts généraux poursuivis
par le programme bilingue à Táncsics sont
les suivants :
- aider les élèves à acquérir
un niveau élevé d’aptitudes en anglais
et dans une autre langue étrangère, pour
leur permettre d’utiliser ces langues avec succès
dans différents types de contexte (personnel, éducatif,
professionnel, etc.) ;
- aider les élèves à développer
une attitude et une mentalité plurilingue et ouverte,
qui les rend capables de et disposés à apprendre
de nouvelles langues et à connaître de nouvelles
cultures ;
- les aider à acquérir des aptitudes interculturelles
qui leur permettront de prendre part à la mobilité
et à la communication à l’échelle
internationale.
Tableau 4 : Calendrier des activités du programme
en cinq ans (niveaux 9 à 13)
|
Niveaux |
Matière |
9 |
10 |
11 |
12 |
13 |
|
Nombre
de cours par semaine |
Langue et littérature
hongroises |
2 |
4 |
4 |
3 |
3 |
Histoire et études
sociales |
|
3 |
3 |
3 |
3 |
Etudes humaines
et éthiques |
|
|
|
|
1 |
Langue anglaise
et études culturelles |
18 |
6 |
5 |
4 |
4 |
Seconde langue étrangère |
|
4 |
3 |
3 |
3 |
Mathématiques |
2 |
3 |
4 |
3 |
3 |
Technologies de
l’information |
2 |
|
|
|
|
Introduction à
la philosophie |
|
|
|
|
1 |
Physique |
|
2 |
2 |
2 |
2 |
Biologie |
|
2 |
2 |
2 |
2 |
Chimie |
|
2 |
2 |
2 |
|
Géographie
et environnement |
|
2 |
2 |
|
|
Musique |
1 |
1 |
|
|
|
Dessin et culture
visuelle |
1 |
1 |
1 |
|
|
Education physique |
2+1 |
2+1 |
2 |
2 |
2 |
Théâtre
et danse |
1 |
|
|
|
|
Art |
|
|
|
1 |
1 |
Cinéma et
médias |
|
|
1 |
|
|
Etudes sociales |
|
|
1 |
1 |
|
(a) L’année
préparatoire pour l’anglais
Le niveau 9 est une année préparatoire avec
un grand nombre de cours d’anglais. Les classes sont
réparties en trois groupes pour l’anglais à
ce niveau, avec un maximum de 12 élèves par
groupe. Les groupes sont constitués en fonction du
niveau d’anglais des élèves. Chaque
groupe a 4 enseignants d’anglais (l’un d’eux
étant un locuteur natif anglais) qui se répartissent
comme suit l’enseignement de l’anglais : l’un
a 9 cours par semaine avec le groupe et les trois autres
3 cours par semaine chacun. En plus de l’utilisation
du même manuel, chacun se concentre sur l’un
des quatre savoir-faire. Généralement, l’enseignant
« principal » met l’accent sur la lecture,
ainsi que sur la grammaire, tandis que le locuteur natif
anglais se concentre sur la conversation. Les aptitudes
en anglais des élèves qui vont suivre le programme
bilingue sont en moyenne de niveau pré-intermédiaire
(A2 ou A2+ selon le Conseil de l’Europe).
Le curriculum définit les objectifs suivants pour
l’anglais à la fin du niveau 9 :
- aider les élèves à devenir des
apprenants en langues autonomes, capables de déterminer
leurs propres besoins d’apprentissage, leurs forces
et leurs faiblesses et de prendre la responsabilité
de leur propre processus d’apprentissage ;
- les pousser à améliorer leur savoir-faire
linguistique ;
- aider les élèves à acquérir
un niveau supérieur-intermédiaire en anglais
(B2 selon le Conseil de l’Europe) dans les quatre
savoir-faire ;
- préparer les élèves à l’apprentissage
des contenus en anglais en mettant l’accent sur
la compétence de prise de notes en anglais et les
aider à acquérir la langue et la terminologie
spéciales des matières qu’ils devront
apprendre en anglais à partir du niveau 10.
A la fin de l’année de niveau 9, les élèves
passent un examen de fin d’année en anglais.
La note de césure est de 60 pour cent. Si un élève
ne l’atteint pas, on lui recommande de quitter le
programme bilingue et de rejoindre la classe spéciale
d’anglais en parallèle. Cependant, les élèves
sont autorisés à poursuivre le programme.
Jusqu’ici, il n’y a eu que 2 ou 3 élèves
par an qui n’ont pas atteint 60 pour cent lors du
test.
Matières autres que l’anglais
En dehors de l’apprentissage de l’anglais en
suivant le programme intensif, les élèves
ont également des cours de hongrois, ainsi que de
mathématiques, de technologies de l’information,
de musique, de dessin et d’éducation physique.
L’outil d’instruction de toutes les matières
autres que l’anglais est la langue hongroise au niveau
9, avec un fort accent sur le développement des compétences
requises pour étudier la matière considérée
(apprendre à apprendre des savoir-faire), en visant
également à aider les élèves
dont les connaissances, en particulier en langue hongroise
et en mathématiques, sont inférieures à
la moyenne de la classe, afin qu’ils puissent rattraper
les autres. Les mathématiques sont une matière
qui, à partir du niveau 10, sera enseignée
en anglais et, pour faciliter l’apprentissage en anglais,
certains concepts leur sont pré-enseignés
pendant le niveau 9 en hongrois.
(b) Niveaux 10 à 13
Langue et culture anglaises
Comme le calendrier d’activités l’indique
(tableau 4), il y a une baisse brutale du nombre de cours
d’anglais à partir du niveau 10 et le nom de
la matière devient Langue anglaise et études
culturelles. En réalité, pendant ces quatre
dernières années, l’accent passe progressivement,
au sein de la matière, de l’apprentissage de
l'anglais langue étrangère à l’apprentissage
en anglais des cultures des pays anglophones. En conséquence,
l’apprentissage des contenus, même au sein du
curriculum de langue étrangère, prend de plus
en plus de temps. En particulier pour les niveaux 10 et
11, l’enseignement et l’apprentissage des études
culturelles en anglais se construisent beaucoup à
partir des compétences et des connaissances factuelles
que les élèves ont déjà acquises
dans des matières telles que la géographie,
l’histoire, les arts, etc. Ils sont confrontés
à des domaines familiers à partir d’une
perspective nouvelle dans une langue étrangère.
Ceci a une influence positive sur les performances et la
motivation des élèves, même dans les
matières initiales (géographie, histoire),
en renforçant et en approfondissant ce qu’ils
ont déjà appris. Tout ceci présuppose
une coopération très étroite entre
les enseignants chargés de l’anglais d’une
part et de la géographie, de l’histoire et
des arts d’autre part.
Matières enseignées selon
l’éducation KTO
Comme déjà mentionné, les mathématiques,
la physique, la musique, le dessin et les arts sont les
matières non linguistiques concernées par
le programme bilingue. Les enseignants chargés de
ces matières appliquent la méthodologie d’éducation
KTO. Le curriculum dit que « dans ces cours, il faut
trouver le juste équilibre entre contenu et langue,
avec l’objectif de préparer les élèves
à acquérir les mêmes compétences
et connaissances que les élèves des classes
monolingues (en hongrois) » (Programme pédagogique
local et Curriculum local de l’école secondaire
générale Táncsics Mihály). Les
enseignants des matières non linguistiques de Táncsics
impliqués dans le programme bilingue indiquent que
le ratio contenu-langue de leurs cours va de 90% en contenu
et 10% en langue à parfois 40% en contenu et près
de 60% en langue, bien que ces dernières valeurs
soient assez exceptionnelles. « Vous devez en permanence
faire des compromis entre le temps d’enseignement
alloué à la langue et celui alloué
au contenu. Ce n’est pas facile. Et vous devez accepter
qu’il est impossible d’enseigner l’intégralité
du contenu que vous pouvez enseigner, et que les élèves
peuvent apprendre, dans un cours dans lequel l’outil
d’instruction est la langue maternelle. » (K.
G., enseignant à Táncsics)
En réalité, en ce qui concerne les différentes
matières, le Curriculum national de base en Hongrie
ne fait pas de différence entre les exigences de
l’éducation KTO et non-KTO. En outre, les élèves
KTO doivent passer le même examen final de fin d’école
secondaire dans chaque matière, comme leurs homologues
non-KTO. Ils ont le droit de choisir la langue (hongrois
ou langue étrangère) dans lequel ils passent
l’examen final dans une matière donnée,
si l’outil d’instruction était une langue
étrangère.
(c) L’organisation de l’enseignement
en langues étrangères à Táncsics
D’après le Curriculum national de base en
Hongrie, chaque école secondaire générale
doit enseigner deux langues étrangères à
ses élèves. Les élèves doivent
poursuivre la langue qu’ils ont apprise à l’école
primaire (anglais ou allemand) et, au niveau 9, ils doivent
commencer une deuxième langue étrangère.
A Táncsics, la première langue étrangère
des élèves des classes de biologie et de mathématiques-informatique
est soit l’anglais, soit l’allemand, selon la
langue qu’ils ont apprise à l’école
primaire. Dans les deux autres classes (bilingue et classe
spéciale de langues), ils continuent avec l’anglais.
La poursuite de la langue étrangère que les
élèves ont apprise à l’école
primaire semble plus facile qu’elle ne l’est
en réalité, si l’on considère
que leurs compétences linguistiques sont très
variables. Les enseignants doivent donc faire de gros efforts
et accomplir un volume important de travail supplémentaire
au cours du premier semestre pour aider les élèves
« faibles » à améliorer leurs
compétences, tout en motivant également ceux
qui ont une assez bonne maîtrise de la langue.
Pour la deuxième langue étrangère
obligatoire, les élèves de Táncsics
peuvent choisir entre l’anglais, l’allemand,
le français, l’italien, l’espagnol et
le russe. Le problème général des écoles
secondaires de Hongrie est que la majorité des élèves
d’une classe donnée choisissent l’allemand
ou l’anglais comme deuxième langue étrangère
et, en conséquence, il n’y a pas suffisamment
de candidats pour les quatre autres langues ou plus. Pour
résoudre ce problème et pour conserver, et
même renforcer, la diversité linguistique de
l’école Táncsics, un effort particulier
a été consenti : le calendrier d’activités
est organisé de façon à ce que les
élèves de chaque niveau puissent avoir leurs
cours de langue étrangère au même moment
(mêmes jours et heures). Dans ce cas, si par exemple
au moins 12 élèves parmi les quatre classes
en parallèle d’un niveau souhaitent apprendre
l’italien, l’école peut organiser leurs
cours afin qu’ils ne soient pas obligés de
se joindre au groupe d’anglais ou d’allemand
de leur propre classe. Cette organisation spéciale
provoque quelques difficultés dans le calendrier
d’activités : par exemple, les élèves
ont deux ou parfois trois cours «vides » par
semaine, quand aucune matière ne leur est enseignée,
et ils doivent aller à la bibliothèque de
l’école pour étudier ou lire quelque
chose de leur propre chef. Cependant, tous les enseignants
en langues de l’école sont d’accord pour
dire qu’une telle organisation du calendrier d’activités
en vaut la peine, car depuis, à l’exception
du russe, toutes les langues étrangères possibles
sont enseignées à chaque niveau et le fait
que les élèves puissent apprendre la langue
de leur choix joue un rôle fondamental dans leur motivation.
Discussion
Depuis l’introduction de l’éducation
KTO, la Hongrie a connu des débats sur le problème
de l’enseignement de matières dans une langue
étrangère et sur la pertinence et l’adéquation
d’une politique qui pose les mêmes contraintes
sur chaque matière pour l’éducation
KTO et non-KTO. Bien qu’aucun travail de recherche
à grande échelle n’ait été
effectué jusqu’ici, un nombre croissant d’enseignants
et de didacticiens protestent contre le fait que la langue
étrangère complique l’apprentissage
des matières et ralentit la progression dans la matière
du curriculum. Certains disent même que ce fait devrait
être pris en compte dans les exigences relatives aux
examens dans les diverses matières. Les Lignes directrices
pour une politique d’enseignement bilingue reconnaissent
partiellement cette difficulté en obligeant les écoles
à répartir les classes en plus petits groupes
pour les cours dans les matières où l’outil
d’instruction est une langue étrangère.
Le fait que l’accès à l’enseignement
supérieur en Hongrie reste assez sélectif
rend ce problème encore plus compliqué. L’accès
à l’enseignement supérieur s’effectue
sur la base d’examens de type compétitif (la
compétition étant très forte pour certaines
universités). En conséquence, les enseignants
et les écoles secondaires se sentent forcées
de concevoir des curriculums assez denses, incluant un fort
volume de connaissances lexicales et théoriques.
Cela laisse très peu de temps pour le ratio langue,
par opposition au ratio contenu.
Ce n’est donc pas une surprise si, dans cette situation,
les écoles choisissent la solution consistant à
admettre dans leurs programmes bilingues des élèves
dont les connaissances et les compétences d’apprentissage
sont au-dessus de la moyenne. Cependant, cela renforce le
caractère sélectif de notre système
d’éducation publique et contraste fortement
avec les tendances éducatives et politiques actuelles.
Conclusion
A l’école secondaire générale
Táncsics, comme dans de nombreuses écoles
secondaires d’autres pays, l’éducation
bilingue a été introduite en réponse
à la demande envers une meilleure éducation
aux langues vivantes au sein d’un curriculum scolaire
donné dans lequel il est impossible d’accorder
plus de temps aux langues étrangères. On peut
considérer le nouveau programme comme « une
solution éducative pour fournir aux jeunes un meilleur
savoir-faire en langues étrangères »
(Marsh, 2002:9). Il est possible de tirer les conclusions
suivantes de l’étude de cas :
- la mise en œuvre d’un programme KTO requiert
une période préparatoire relativement longue
– s’étalant parfois sur plusieurs années
;
- une coopération forte et un bon esprit d’équipe
au sein de l’équipe d’enseignants peuvent
améliorer la réussite du travail pédagogique
;
- en Hongrie, le programme qui a le plus de réussite
est celui sur cinq ans (1 année préparatoire
+ 4), car il fournit aux élèves une base
linguistique solide, grâce à l’année
préparatoire ;
- l’éducation KTO n’implique pas d’enseigner
dans une langue étrangère ce qui est enseigné
dans la langue maternelle et n'impose pas la façon
dont cet enseignement s’effectue. Cela signifie
qu’il y a un double centre d’intérêt
sur la langue étrangère et sur le contenu
et que leur ratio varie selon les cours, en fonction des
besoins des élèves ;
- il est essentiel de comprendre que le KTO est une approche
méthodologique qui requiert des capacités
professionnelles spécifiques. L’utilisation
courante d’une langue, à elle seule, ne suffit
pas pour pouvoir enseigner efficacement dans le cadre
d'un programme KTO. Il n’est pas nécessaire
d’avoir une compétence de locuteur natif,
mais il faut être capable d’utiliser des méthodes
spécifiques. « Toute insistance excessive
sur les « compétences linguistiques »
peut nous amener à négliger l’importance
des compétences méthodologiques… il
est possible d’enseigner convenablement les compétences
méthodologiques pour CLIL/EMILE grâce à
des programmes professionnels de formation initiale ou
continue. » (Marsh, 2002:78)
- des curriculums fortement chargés en matières
et des examens à enjeux élevés qui
se concentrent sur des compétences lexicales et
théoriques obligent les écoles à
rechercher les élèves les plus doués
sur le plan scolaire. Cela, malheureusement, menace de
transformer les programmes KTO de niveau secondaire en
une forme d’éducation des « élites
».
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