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par Leena Huss

Préambule

En février 2000, la Suède a ratifié deux conventions du Conseil de l’Europe : la Convention du cadre européen pour la protection des minorités nationales et la Charte des langues régionales ou minoritaires. Cela a entraîné la reconnaissance officielle de cinq minorités nationales et de leurs langues : les Finlandais et le finnois, les Juifs et le yiddish, les Roms et la langue tzigane, les Samis et le lapon et les Tornedaliens et le meänkieli. La dernière des nouvelles langues minoritaires nationales, le meänkieli, diffère des autres à plusieurs égards. Tout d’abord, il a acquis ce statut de langue suite au processus de ratification, alors qu’il était précédemment considéré comme un dialecte du finnois (« finnois tornedalien »). Ces deux langues ont une histoire commune, partant du finnois largement utilisé dans le Nord du royaume de Suède, jusqu’à ce que ce pays cède sa partie orientale à la Russie en 1809. Lors du tracé de la nouvelle frontière à travers la région tornedalienne, une région au Nord homogène sur les plans culturel et linguistique, une partie des locuteurs du finnois sont devenus une minorité en Suède. De l’autre côté de la frontière, les locuteurs du finnois sont devenus une partie de la population majoritaire dans ce qui est aujourd’hui la Finlande. Lorsque les politiques nationalistes ont pris de l’ampleur en Suède, à la fin du 19e siècle, le finnois tornedalien est resté la langue parlée vernaculaire dans les maisons et sur la place du village, tandis que le suédois devenait la seule langue officielle. La seule exception a été l’église luthérienne, qui a conservé jusqu’à ce jour le finnois comme l’une de ses langues dans tout le pays.

Pendant un siècle de politiques d’assimilation coercitives en Suède, le finnois a donc été une langue maternelle à faible statut, mais également la lingua sacra de la population tornedalienne. Lorsque la période d’assimilation déclarée a pris fin dans les années 1970 et que les locuteurs de langues minoritaires ont pu faire entendre leur voix plus facilement, un groupe de jeunes tornedaliens s’est regroupé et a lancé un mouvement de revitalisation linguistique et culturelle. En 1981, la Fédération des Suédois tornedaliens (la STR-T) a été créée, avec pour tâche centrale la promotion de la langue et de la culture locales. Depuis ses débuts, la STR-T a exprimé un point de vue clair sur la question de la langue qui devait être considérée comme la « langue des Tornedaliens » : le « finnois tornedalien », par opposition au finnois standard, a été choisi comme la langue à revitaliser et le nom utilisé pour la désigner au sein du mouvement tornedalien a été le meänkieli (littéralement « notre langue »). La raison de ce choix était que la variété locale de finnois s’était développée dans une direction propre dans les villages tornedaliens, sans être fortement influencée par la standardisation et le développement de la langue qui ont eu lieu du côté finlandais de la frontière et elle a évolué de façon graduelle, suffisamment pour être considérée comme une langue à part entière, à savoir le meänkieli.

Après deux décennies d’importants efforts, le mouvement de revitalisation semble désormais (2005) avoir atteint une part importante de la population adulte tornedalienne et la question désormais posée concerne l’implication des jeunes générations. Le soutien des langues minoritaires par l’éducation scolaire est souvent considéré comme crucial (Edwards, 1985 ; Fishman, 1991) et, dans la nouvelle politique suédoise relative aux minorités lancée en 2000, l’éducation scolaire reçoit en effet une certaine attention, mais on constate une absence de mesures promouvant des programmes bilingues ou utilisant des langues minoritaires forts pour la préservation à long terme de la langue. Les manquements évidents concernant le soutien des langues des minorités nationales dans le domaine éducatif constituaient également un point central des critiques émises par le Conseil de l’Europe consécutivement à la première phase de surveillance effectuée après la ratification par la Suède des deux conventions européennes*.

* Le rapport réalisé par le gouvernement suédois sur l’état des minorités nationales et de leurs langues et les critiques exprimées par le Comité d’experts pour la Charte sont disponibles à l’adresse suivante : http://www.coe.int/minlang.

Les quelques exemples existants d’éducation bilingue en Suède se rencontrent presque exclusivement dans les écoles dites indépendantes, dont la direction est privée, mais qui bénéficient de financements publics. La situation actuelle de ces écoles est relativement précaire, car une responsabilité importante repose sur les parents ; de plus, il existe des exemples de municipalités qui s’opposent activement à la création et au fonctionnement de telles écoles. La tendance dominante concernant le soutien aux langues minoritaires dans le système éducatif suédois est ce que l’on appelle l’instruction en langue maternelle, qui se traduit par une à deux leçons hebdomadaires dans la langue maternelle de l’enfant, au sein d’un enseignement classique en suédois (ex. Boyd, 2001).

Dans la région tornedalienne, il n’existe qu’une seule école indépendante, l’école de culture et d’écologie Kangos, comportant une part d’enseignement en meänkieli et de cette langue (voir Huss, 1999). Dans certaines écoles municipales, on enseigne le meänkieli sous la forme d’une matière, une ou deux heures par semaine. Les caractéristiques de la compétence en langue minoritaire au sein de la population tornedalienne (que l’on estime comprendre entre 70 000 et 80 000 personnes) sont tout à fait typiques de ceux des langues menacées de disparition : plus les gens sont âgés et plus leurs compétences linguistiques sont importantes ; elles sont donc les plus faibles chez les plus jeunes. Il n’existe aucun recensement linguistique en Suède, ni aucune statistique disponible sur le nombre de locuteurs pour aucune langue. Néanmoins, il est évident qu’un changement de langue est en cours dans la région tornedalienne, amenant une situation dans laquelle la plupart des enfants ne parlent plus le meänkieli chez eux ou entre eux. Dans cette situation, il serait difficile d’appliquer une éducation bilingue dès le début ; il faudrait plutôt utiliser un modèle d’immersion dans lequel les enfants locuteurs du suédois apprendraient le meänkieli grâce à une pédagogie spécifique appliquée à la situation tornedalienne. En l’absence d’un tel modèle, de nombreux parents considèrent le modèle actuel de soutien de la langue maternelle, avec une ou deux leçons hebdomadaires, comme une solution adéquate.

Dans la région tornedalienne, l’histoire est toujours très présente et, en héritage de la période d’assimilation déclarée, l’attitude d’une partie de la population envers la langue et la culture locales a été longtemps partagée, voire hostile. Lorsque des initiatives se sont déroulées pour renforcer la langue locale avec l’aide de l’école, elles ont rencontré un soutien fort, mais parfois aussi une forte opposition de la part de certains parents. Certaines personnes âgées, qui ont elles-mêmes souffert du système d’assimilation mis en place à l’école et des préjugés de la part de la société majoritaire, considèrent que le nouvel intérêt dans la langue et la culture locales est douloureux, comme s’il rouvrait d’anciennes blessures (Huss, 1999). Récemment, cependant, les attitudes ont changé et de nombreuses écoles proposent aujourd’hui une instruction en meänkieli ou en finnois intégrée au curriculum qui traite de l’enseignement de la culture locale. Ces initiatives sont restées facultatives pendant longtemps et ce n’est qu’en 1999 qu’a eu lieu la première tentative d’introduire l’instruction en meänkieli comme une matière obligatoire dans le curriculum local des écoles primaires.

Le débat sur la langue au sein de l’école de Pajala 1999-2001

La commune de Pajala, située très près du Cercle arctique, à la frontière Nord-Est de la Suède, fait partie de la zone centrale du finnois, dans laquelle cette langue a été parlée pendant plusieurs siècles en plus du lapon et, plus tard, également du suédois. A présent, on compte 7 200 habitants dans le Grand Pajala, dont 30% vivent dans le centre de la municipalité. Jusque dans les années 1960, la plupart des habitants travaillaient dans l’agriculture ou dans l’industrie forestière. Dans les années 1970, la municipalité a commencé à perdre des habitants et est devenue fameuse pour être une zone dont de nombreux jeunes partaient vers le Sud afin d’étudier et de travailler à Stockholm ou dans d’autres grandes villes, en laissant derrière eux la frange la plus âgée de la population. Dans le sillage de la nouvelle politique suédoise envers les minorités, le mouvement de revitalisation tornedalien a commencé à vouloir renverser cette tendance, à travers diverses initiatives d’ordre culturel et éducatif. Au fur et à mesure de l’émergence sur la scène tornedalienne de nouvelles activités culturelles et de nouvelles possibilités d’emploi, il n’était plus aussi évident qu’auparavant de voir les plus jeunes choisir de ne pas retourner sur place une fois qu’ils avaient fini leurs études ou travaillé quelque temps dans d’autres régions de Suède.

Cependant, le débat sur la langue à Pajala en 1999 et 2000 constitue une bonne illustration du caractère sensible de la question de la langue dans cette région. Le débat a commencé à la fin de l’automne 1999, juste avant que le parlement suédois ne fasse passer une décision reconnaissant cinq groupes minoritaires nationaux et cinq langues minoritaires en Suède. Il s’est poursuivi au printemps 2000, lorsque les ratifications par la Suède des conventions européennes mentionnées plus haut sont entrées en vigueur. Les choses ont commencé le 15 novembre 1999, lorsque le conseil municipal de Pajala a déclaré que l’un des objectifs de l’école polyvalente de la municipalité était de permettre à tous les élèves de « lire et d’écrire des textes simples en meänkieli » au moment où ils quittaient l’école. La réaction des cercles non meänkieliens ne s’est pas fait attendre, sous la forme d’un appel contre la décision qui a été déposé auprès du tribunal administratif du comté par un particulier qui avait également lancé une pétition et collecté plus de 1 000 signatures contre la nouvelle politique – un chiffre considérable dans une municipalité comportant moins de 8 000 habitants. Suite à cela, le conseil municipal a pris une nouvelle décision et apporté un amendement à la politique ; l’objectif original d’enseigner le meänkieli aux enfants de l’école polyvalente est resté, mais il ne devait plus concerner que 70 pour cent des élèves. En 2003, le problème a été de nouveau abordé par le conseil municipal, qui a pris la décision de porter la proportion à 80 pour cent. Depuis, la question du « meänkieli obligatoire » n’a plus attiré l’attention des médias et l’instruction en meänkieli dans les écoles semble, pour le moment, ne plus être vraiment l’objet de controverses.

Problèmes spécifiques à la revitalisation du meänkieli

Bien que la présence du meänkieli dans les écoles soit désormais largement acceptée, la revitalisation de la langue fait face à certains problèmes spécifiques rattachés au contexte tornedalien. Le plus significatif d’entre eux est la répartition déjà signalée des âges des locuteurs courants du meänkieli. Le meänkieli avait fini par être considéré comme la « langue des anciens », car les parents n’étaient auparavant pas censés le transmettre à la génération suivante et de nombreux adultes et personnes âgées avaient pris l’habitude de ne s’adresser aux enfants, aux jeunes et aux adolescents qu’en suédois. Cela signifiait que les jeunes perdaient le contact avec la langue, en dépit du fait qu’elle était, et est toujours, fréquemment utilisée par les personnes les plus âgées. En conséquence, la grande majorité des élèves des écoles de la région tornedalienne ne parlent que le suédois et l’instruction en meänkieli doit partir de zéro.

Une autre difficulté est d’ordre linguistique. Le meänkieli, par opposition au finnois standard, possède une valeur symbolique forte pour de nombreuses personnes. Il est considéré comme le porteur de la culture tornedalienne authentique. Il est également vrai qu’il possède de nombreux traits spécifiques dus à la longue période de développement séparé qu’il a connue. Néanmoins, les deux variétés, le finnois et le meänkieli, sont largement intelligibles mutuellement et il est possible de les utiliser dans la même conversation sans difficulté. Les différentes formes de finnois et de meänkieli forment un continuum et il est parfois difficile de définir une limite entre les deux et de décider où finit l’un et où commence l’autre. Cette situation linguistique est rendue encore plus complexe par la tradition de poikkinainti (« intermariage ») fréquents entre les Tornedaliens de Suède et les Finlandais de Finlande, qui tend à avoir des conséquences linguistiques, en promouvant des variétés parlées plus proches de l’extrémité finnoise du continuum.

Pour l’éducation scolaire, l’absence de langue écrite standardisée constitue également un problème. Il manque également de la terminologie dans divers domaines dans lesquels le meänkieli (ou « finnois tornedalien ») n’était pas utilisé traditionnellement. Contrairement au lapon et au finnois en Suède, le meänkieli n’est pas soutenu par un conseil spécial sur la langue, qui développerait de la terminologie, donnerait des conseils pour les questions d’ordre linguistique, etc. Des projets de mise en place d’un tel conseil pour le meänkieli sont en cours, éventuellement en connexion avec un projet de « Conseil des langues de Suède », une autorité qui prendrait en charge la protection et la promotion du suédois*, ainsi que des langues des immigrants, des langues minoritaires, du langage des signes suédois , etc. Pour l’instant, cependant, les enseignants de meänkieli et les autres personnes qui travaillent avec la forme écrite de la langue doivent se débrouiller sans un tel soutien. En conséquence, la plupart des supports utilisés pour l’enseignement du meänkieli sont produits individuellement par les enseignants.

* La création de cette autorité était l’une des propositions du rapport de la commission SOU 2002:27 Mål i mun. Förslag till handlingsprogram för svenska språket. Betänkande av kommittén för svenska språket [Proposition pour un programme d’action pour le suédois. Rapport de la commission par le Comité pour la langue suédoise] (accessible sur le site web du ministère suédois de la Culture : http://www.kultur.regeringen.se/propositionernmm/SOU/index.htm).

Recherche active sur le meänkieli dans les jardins d’enfants de Pajala

En 2003, un projet financé par la commune a été lancé pour revitaliser le meänkieli dans une approche du bas vers le haut à deux titres : le projet devait cibler la frange la plus jeune de la population tornedalienne, à savoir les enfants d’âge préscolaire, en mettant l’accent sur l’implication de leurs parents, de leurs grands-parents et de la communauté locale dans les efforts de revitalisation. Le projet admettait que tous les participants devraient coopérer et se compléter les uns les autres s’il voulait atteindre des résultats significatifs (voir Vincent, 2000).

La directrice du projet, qui en était l’initiatrice, était Astrid Kruukka, une tornedalienne qui avait entendu parler le meänkieli à la maison. Les parents d’Astrid avaient parlé en suédois à leurs enfants tout en conservant le meänkieli entre eux deux et ils avaient institué le suédois comme la langue à utiliser entre les enfants. C’est seulement entre Astrid et sa grand-mère que le meänkieli était utilisé de façon naturelle et évidente. Plus tard, l’intérêt d’Astrid pour la culture tornedalienne s’est affirmé, d’abord par sa participation à des groupes de danse et de chant tornedaliens travaillant selon les traditions musicales locales. Son implication dans l’aspect linguistique du mouvement tornedalien s’est accrue au cours du temps et elle a commencé à promouvoir le meänkieli tout en étant employée par la commune de Pajala à diverses tâches. En 2003, elle a reçu un financement sur deux ans et lancé son projet « Recherche active sur le meänkieli pour un jardin d’enfants bilingue ».

Comme indiqué dans le programme de son projet, l’objectif était d’atteindre un « bilinguisme actif » dans les jardins d’enfants de la commune de Pajala. En Suède, le terme de jardin d’enfants désigne la garde de jour pour les enfants âgés de 0 à 5 ans. A partir de 6 ans, les enfants passent dans une classe de « niveau 0 », généralement située dans les mêmes locaux que l’école, où ils commenceront à suivre la classe de niveau 1 l’année suivante.

La recherche active a été définie comme couvrant entre autres les éléments suivants :

  • la directrice du projet, en coopération avec l’équipe de travail du jardin d’enfants, lancerait un plan de développement ;
  • les différents intervenants seraient invités à participer de façon continue et à influencer le développement d’activités ;
  • toute la planification serait effectuée en tenant compte des conditions en place pour le personnel et les enfants ;
  • de nouvelles expériences pourraient influencer le planning, de façon à permettre l’introduction en permanence d’améliorations ;
  • des discussions seraient tenues afin de décider comment effectuer le suivi et comment mettre en évidence les modifications possibles.

Les points suivants ont été regroupés sous l’intitulé « Préalables et méthodes » :

  • tous les membres de l’équipe de travail devraient approuver l’idée de (participer à) la recherche active ;
  • les parents des enfants du groupe préscolaire seraient tenus informés et invités à participer ;
  • la directrice de projet participerait activement au travail de l’équipe ;
  • la planification serait faite sur les deux années suivantes ;
  • l’équipe de travail du jardin d’enfants, ainsi que la directrice du projet et les parents, effectueraient des visites d’étude d’autres jardins d’enfants bilingues ;
  • il serait proposé des cours en meänkieli au personnel et aux parents en cas de besoin et d’intérêt pour ceux-ci.

De plus, un chercheur sur les langues (l’auteur) s'est affilié au projet en tant que consultant.

La première année

La majeure partie de la planification a été effectuée par Astrid Kruukka elle-même, avec une aide fournie par une « commission consultative » composée des directeurs des jardins d’enfants, d’élus politiques locaux et du consultant en recherche. La première tâche a consisté à envoyer le programme du projet à tous les jardins d’enfants de la commune de Pajala et de demander au personnel de transmettre l’information aux parents. L’objectif était de trouver une classe de jardin d’enfants dans lequel le personnel comme les parents étaient unanimement favorables à la participation au projet « Recherche active pour un jardin d’enfants bilingue ». En fin de compte, deux classes de maternelle, au lieu d’une, ont été sélectionnées, l’une dans la maternelle « Snickaren » (« Le charpentier ») dans le centre de la commune de Pajala et l’autre dans la maternelle « Tallkotten » (« Cône de pin ») situé dans un petit village appelé Korpilombolo, au sein de la même commune. Ces deux classes de maternelle sont donc devenues le cadre du projet de recherche active.

Astrid a lancé le projet en envoyant un questionnaire aux parents pour collecter des informations de fond sur les familles, des détails sur l’utilisation de la langue à la maison et les souhaits des parents sur l’issue du projet. Les résultats ont montré que la plupart des enfants concernés (dix-sept à Snickaren et dix à Tallkotten) vivaient dans des situations linguistiques fort similaires.

La plupart des parents avaient grandi dans la commune de Pajala et étaient âgés de 30 à 40 ans. Presque tous les enfants avaient au moins un parent qui avait (quelques) connaissances en meänkieli et deux d’entre eux savaient également, ou seulement, le finnois standard (selon qu’ils avaient étudié le finnois ultérieurement ou qu’ils avaient émigré de Finlande). La plupart des parents avaient toujours, ou le plus souvent, parlé le suédois avec leurs propres parents, mais ils indiquaient néanmoins qu’ils comprenaient bien ou assez bien le meänkieli. Un plus petit nombre ont indiqué qu’ils étaient capables de parler la langue, bien ou assez bien, et plusieurs ont indiqué qu’ils ne la parlaient pas du tout. Quelques-uns avaient eu une certaine formation en meänkieli ou en finnois à l’école, ou l’avaient étudié ultérieurement. A la maison, les parents parlaient principalement le suédois ou les deux langues entre eux, mais la plupart ne parlaient que le suédois avec leurs enfants, le reste parlant surtout suédois et très peu le meänkieli ou le finnois. Il y avait même une famille dans une situation trilingue, les langues natives des parents étant le finnois de Finlande et le russe, le suédois étant utilisé en dehors de la maison.

Les parents ont estimé que la compétence des enfants en meänkieli était très faible, les enfants pouvant généralement comprendre ou prononcer des mots isolés en meänkieli. Le meänkieli était souvent parlé dans les familles lorsque des membres de la famille leur rendaient visite et certains parents ont indiqué qu’ils avaient demandé à d’autres membres de la famille, souvent les grands-parents, de parler le meänkieli avec les enfants. La plupart des parents suivaient parfois des programmes en meänkieli à la radio ou à la télévision. La production en meänkieli des médias est très limitée et la question posée aux parents était de savoir s’ils écoutaient ou regardaient tous les programmes disponibles ou seulement certains d’entre eux. Les parents ont également indiqué qu’ils ne lisaient pas de livres ni de journaux en meänkieli, ni ne lisaient à haute voix des livres pour enfants en meänkieli à leurs enfants. Il existe environ 30 livres écrits en meänkieli, dont un grand nombre destiné aux jeunes enfants. Il existe également un magazine culturel bilingue en suédois-meänkieli, des articles en meänkieli dans un hebdomadaire bilingue en suédois-meänkieli et un quotidien en finnois, tous publiés en Suède. La réticence des parents à utiliser tous ces éléments pourrait être expliquée par le fait que le meänkieli n’est devenu que récemment une langue utilisée pour produire différents genres de littérature ; précédemment, il ne survivait que comme langue orale vernaculaire, alors que la langue écrite des Tornedaliens était le suédois. Les seules exceptions étaient les publications religieuses diverses publiées également en finnois, selon la tradition de l’église luthérienne en Suède. La rareté des publications en meänkieli et la tradition de ne lire et n’écrire qu’en suédois dans la région tornedalienne sont toujours des obstacles à l’extension de l’utilisation du meänkieli écrit au sein de la population tornedalienne.

L’une des questions figurant dans le pré-questionnaire envoyé aux parents était : « En tant que parents, que penseriez-vous de coopérer avec le jardin d’enfants au développement du meänkieli chez les enfants, par exemple en utilisant certains mots ou phrases à la maison ? ». Presque tous les parents ont répondu positivement, un seul étant contre cette idée et quelques parents répondant « peut-être ». Lorsqu’on leur a demandé quel genre de résultats les parents attendaient du projet de recherche active, la plupart ont mentionné une amélioration de leurs aptitudes linguistiques. Un des parents a répondu : « [Je souhaite] que mon enfant soit capable de communiquer en finnois tornedalien en se sentant en confiance et fier et puisse comprendre qu’il existe de nombreuses personnes dans cette région qui connaissent cette langue. ». Un autre a écrit : « Nous [parents] voudrions que nos enfants comprennent et parlent un peu de meänkieli. Notre rêve est que nous, comme nos enfants, puissions l’apprendre *. » .

* Cette citation, ainsi que les autres de ce chapitre, a été initialement écrite en suédois, puis traduite en anglais par l’auteur. Les termes en meänkieli ou finnois utilisés par certains parents sont indiqués en italique dans leur forme originale et ont également été traduits en anglais.

La question qui menait à plusieurs réponses différentes était : « Dans quels contextes au sein de la société pensez-vous que la connaissance du meänkieli soit un élément positif ? ». Plusieurs parents ont mentionné les contacts avec les gens âgés et les contacts sociaux en général dans la région tornedalienne. Un parent a insisté sur le rôle du meänkieli comme un marqueur d’identité : « [Si vous utilisez le meänkieli,] vous êtes l’un de nous ! Comme la langue est toujours présente, la capacité à la parler enrichit et facilite les rencontres avec ceux qui l’utilisent toujours dans la vie quotidienne. Le meänkieli est également le porteur de notre propre culture et un pont par-dessus la frontière. Il nous aide à comprendre l’histoire de notre commune. ». L’atout constitué par le meänkieli sur le marché du travail a été mentionné par plusieurs parents, ainsi que son utilisation comme point de départ pour apprendre ou utiliser le finnois standard. La compétence en meänkieli a également été perçue comme généralement enrichissante ; un parent a remarqué : « Il est toujours avantageux de connaître plusieurs langues. ».

Avec l’aide des informations collectées grâce au questionnaire, Astrid a composé un planning d’activités composé de visites hebdomadaires aux deux groupes préscolaires et de quelques soirées d’information pour les parents et le personnel. Les visites fréquentes aux jardins d’enfants et le programme développé par Astrid pour l’apprentissage de la langue étaient destinés à inspirer le personnel et à leur donner progressivement les outils nécessaires pour travailler de leur propre chef sur le meänkieli et pour développer leurs propres habitudes. L’une des nouvelles activités introduites était d’apprendre des chansons et des comptines en meänkieli, de les écrire et de les envoyer aux parents pour qu’elles soient également pratiquées à la maison, de les imprimer sur des dessous de plat et de les faire décorer par les enfants eux-mêmes, puis de les accrocher sur les murs de l’école maternelle et de les envoyer dans les maisons. Le personnel a également pris l’habitude de noter, sur un carnet tenu à portée de main dans la salle de jeux, les situations de la vie quotidienne dans lesquelles le meänkieli était utilisé, faisait l’objet d’une discussion ou était impliqué d’une façon ou d’une autre. Cela a constitué une lecture très intéressante pour les parents, qui pouvaient lire les notes lors de leurs visites à l’école maternelle.

Des informations sur le projet, ainsi que des supports d’enseignement, ont également été mis à disposition au moyen de «Tema Modersmål» , un site web créé et géré par l’Agence suédoise pour l’éducation. Le site web a été créé pour fonctionner comme un lien entre les enseignants de diverses langues maternelles en Suède et comme une banque d’informations destinée à être utilisée par les enseignants, les élèves, les parents et les autres personnes intéressées. Astrid a participé au développement des pages en meänkieli et y a mis à disposition l’intégralité de ses supports d’enseignement.

Comme le projet présupposait un fort intérêt de la part des parents et, sur le long terme, des grands-parents, des autres membres de la famille et de la communauté locale, les activités centrées sur les parents ont été considérées comme très importantes et Astrid était curieuse de voir le degré de participation dont feraient réellement montre les parents en cas de besoin. Une réunion avec le consultant chercheur a attiré des groupes assez importants de parents et de membres du personnel des deux jardins d’enfants, tandis que seul un couple de parents est venu à une « soirée langues » organisée avec un enseignant de meänkieli. Comme cela apparaissait de façon évidente dans les questionnaires, de nombreux parents pensaient qu’ils vivaient des vies bien remplies et qu’il leur était difficile de trouver le temps et l’énergie de participer à des cours de langues, en particulier du fait que de nombreux parents pensaient qu’ils connaissaient déjà le meänkieli. Ce qui était apprécié, c’était la routine de l’envoi aux parents des chansons, comptines et phrases utilisées au jardin d’enfants – un questionnaire de suivi envoyé à la fin de la première année l’a confirmé et a également indiqué que les parents voulaient davantage de supports de ce type. Certains parents ont également demandé des conseils pratiques pour l’éducation bilingue des enfants et des suggestions pour le renforcement du meänkieli à la maison.

Un autre moyen utilisé par Astrid pour activer les parents était le « journal linguistique ». Comme pour le personnel enseignant, il a été demandé aux parents de tenir un journal pendant une semaine, à la fin de la première année du projet, et d’écrire tous les épisodes à la maison au cours desquels le meänkieli était utilisé ou bien faisait objet d’une discussion ou d’un commentaire. Les journaux ont eux aussi révélé que les comptines et les chansons en meänkieli avaient beaucoup de succès auprès des enfants. Même les enfants qui n’utilisaient par ailleurs presque jamais le meänkieli ou le finnois semblaient les apprécier. Un des parents a écrit :

«Lundi: Au petit déjeuner, Fanny dit quelques mots en finnois, par exemple paperi [papier], vettä [eau], päälä [au-dessus de]. Fanny récite la comptine Le coq et la poule et fait la grimace quand maman tient Casper dans ses bras.
Mardi: Fanny récite la comptine Le lait, la viande et les patates quand elle met ses habits pour sortir de la maison.
Jeudi: Nous entendons la comptine Isikon, tisikon quand Fanny met ses habits».

Certains parents citent de longues conversations bilingues avec beaucoup d’alternances de codes et des questions métalinguistiques telles que « Qu’est-ce que cela veut dire en suédois ? » ou « Comment dit-on cela en meänkieli ? ». Un parent avait noté que toute la famille, y compris les frères et sœurs de l’enfant en âge préscolaire, avaient énoncé plusieurs fois les noms en finnois et en meänkieli de différents animaux lors des trajets en voiture. Dans certaines notes, l’on sent que les parents font de réels efforts pour pousser leurs enfants à parler le meänkieli. L’un d’eux écrit :

« Jeudi : Maman appelle Ellen : Ellen tule ! [Ellen, viens ici !] Ellen répond : Pourquoi ? Plus tard, Maman dit : Ellen, ota kengät pois [Ellen, enlève tes chaussures !] Ellen comprend et s’exécute ! ».
« Dimanche : Aujourd’hui, Papa a parlé finnois à Ellen. Elle dit une fois : Arrête de parler comme ça ! Papa croit qu’elle comprend beaucoup (de phrases simples et de mots). Lorsque Papa parle finnois, elle commence à jouer avec la langue. Elle continue à mélanger des mots finnois et des mots enfantins de suédois et semble beaucoup s’amuser à cela. »

Certains parents semblent inquiets de n’avoir rien à signaler. L’un d’eux écrit :

« Lundi : Et elle, qui est celle qui parle d’habitude toujours [en meänkieli]… n’a rien dit (au moins quand nous écoutions) ! Et nous n’avons pas essayé de l’influencer ! Mardi : Rien de spontané aujourd’hui non plus… il se passe quelque chose de bizarre ici ! Mercredi : Enfin ! De nombreuses chansons… Elle a également dit : Saanko mie nuola ? [Puis-je lécher ?] (le bol dans lequel nous avons fait la pâte pour un gâteau). ».

A la fin de la première année, Astrid a envoyé un nouveau questionnaire aux parents pour savoir ce qu’ils pensaient du projet. Les réponses ont montré que jusqu’ici, le projet était un succès. Un des parents a écrit : « Le projet a vraiment été très bien et les enfants trouvent qu’il est amusant d’utiliser une autre langue. Je pense que c’est en particulier parce que la langue a été présentée à l’aide de comptines et autres moyens plaisants. ». Certaines des réponses reflètent un changement dans les attitudes envers le meänkieli parmi les enfants : « Le projet a augmenté l’intérêt des enfants envers le meänkieli. Ils nous demandent Comment dit-on cela en meänkieli ? Dans l’enseignement préscolaire, il est devenu légitime de parler finnois. Désormais, les enfants sont fiers de connaître des mots finnois. ». Tous les parents, sauf un, n’ont pas vu de besoin d’amélioration ; le projet fonctionnait bien. La seule exception provenait d’un parent inquiet de voir que la part allouée à d’autres activités populaires, comme « planter des fleurs », avait été réduite pour faire de la place aux activités linguistiques. Presque tous les parents ont indiqué que leurs enfants comprenaient plus de meänkieli après la première année du projet qu’auparavant ; un des parents s’est plaint qu’ils ne pouvaient plus utiliser le meänkieli comme langage secret entre les parents ! Presque tous les parents ont également indiqué que leurs enfants avaient commencé à utiliser davantage le meänkieli que précédemment, la plupart utilisaient toujours des mots isolés, mais certains faisaient également des phrases complètes et de nombreux enfants chantaient et disaient des comptines en meänkieli. La plupart des enfants parlaient du projet à leurs parents, le plus souvent après les visites qu’Astrid effectuait à l’école maternelle ; les enfants les appréciaient beaucoup et n’aimaient pas les manquer.

Pour les parents eux-mêmes, le changement fut moins significatif. La plupart semblaient se concentrer sur les résultats de leurs enfants et ne faisaient pas d’efforts particuliers pour améliorer leur propre connaissance du meänkieli.

Pour la deuxième année préscolaire, 2004-2005, Astrid a planifié quelques nouvelles activités en plus de celles déjà utilisées dans les jardins d’enfants. L’une d’elles consistait à appliquer le modèle de « nid linguistique » et à proposer à des locuteurs âgés maîtrisant bien le meänkieli, de préférence les grands-parents de certains des enfants participant au projet, de participer de façon systématique au travail effectué au jardin d’enfants. Le modèle de nid linguistique remonte à une innovation des Maoris en Nouvelle-Zélande appelée « Kohanga Reo » (e.g. Fishman, 1991). Le principe de base consiste à recruter des anciens dotés de compétences linguistiques et culturelles, de préférence les grands-parents, pour travailler en garde de jour et pour transmettre la langue et la culture aux enfants, formant ainsi un « pont » franchissant la génération des parents déjà assimilés au suédois. Le rôle des parents est très important à ce niveau, car ils sont en position de trouver aisément des volontaires – et les grands-parents dont les petits-enfants sont au jardin d’enfants sont probablement plus enclins à participer. L’autre nouvelle initiative planifiée par Astrid consistait à inspirer les parents comme le personnel en faisant une visite d’étude conjointe dans un autre jardin d’enfants où la revitalisation de la langue s’effectuait, éventuellement dans un jardin d’enfants lapon ou kven* en Norvège. Au cours de la visite, le personnel et les parents devaient avoir l’opportunité de mieux se connaître les uns et les autres, de rencontrer leurs homologues norvégiens et d’échanger des idées et des solutions aux problèmes quotidiens dans une situation de revitalisation. Le but final de la deuxième année était de s’assurer que le travail linguistique ne serait pas interrompu à la fin du projet, mais se poursuivrait sous une forme ou une autre, à la fois à l’école maternelle et à la maison.

* Les Kvens sont une ancienne minorité vivant dans le Nord de la Norvège, qui parlent une langue très similaire au meänkieli.

Récapituler et regarder vers l’avant : « Recherche active pour un jardin d’enfants bilingue » est-il un outil pour la revitalisation de la langue ?

A l’automne 2004, la situation dans les jardins d’enfants Snickaren et Tallkotten était la suivante : le sentiment était unanime chez les parents et le personnel que le projet était un succès et devait être poursuivi. Les enfants semblaient avoir fait des progrès en meänkieli et la langue était devenue un élément évident dans les activités quotidiennes. Cependant, les parents comptaient avant tout sur les efforts déployés au jardin d’enfants et ne semblaient pas avoir considérablement accru l’utilisation du meänkieli à la maison, bien que plusieurs d’entre eux aient exprimé leur haute opinion des documents écrits comportant les chansons et les comptines en meänkieli qui leur avaient été remis. Deux parents ont également exprimé le souhait d’obtenir une petite brochure contenant des conseils sur l’éducation bilingue, dont la réalisation avait été incluse dans les plans pour la deuxième année du projet.

Jusqu’ici, les efforts d’Astrid pour impliquer les générations des parents et des grands-parents dans les activités ont mené à une nouvelle forme d’activités. Des soirées spéciales sur la langue « pour toutes les générations » se sont tenues en janvier 2005 et ont remporté un vif succès. Au lieu de se concentrer uniquement sur les cours de langues traditionnels pour les parents et le personnel, comme prévu dans le plan initial, Astrid a mis en place des programmes spéciaux en soirée dans les deux jardins d’enfants, entièrement en meänkieli, au cours desquels chacun pouvait trouver quelque chose d’intéressant à faire. Elle décrit comme suit la soirée qui s’est tenue avant la soirée de Noël :

« Je me suis occupée d’abord personnellement des mamans et des papas, des grands-mères et des grands-pères dans une grande salle adjacente. Certains enseignants avaient traduit le texte du chant de Noël Tip tap en meänkieli et nous l’avons parcouru ensemble, en vérifiant que les mots sonnaient juste, leur bonne orthographe, en demandant comment cela se dirait en finnois de Finlande et autres choses similaires. Après avoir répété le chant ensemble deux ou trois fois, je leur ai dit que nous allions le chanter pour les enfants et que le personnel du jardin d’enfants en ferait une petite pièce de théâtre, en représentant les événements décrits dans le chant. Après cela, nous avons joué à une espèce de jeu de Bingo avec des mots en meänkieli. Il y avait deux équipes qui rivalisaient entre elles et cela s’est révélé être très drôle ! Après, nous sommes retournés dans la pièce où les enfants avaient entre-temps travaillé sur d’autres choses. D’abord, ils nous ont représenté l’histoire de Billy Goats Gruff, De tre bockarna Bruse, qu’ils avaient transformée en une petite pièce de théâtre, après quoi notre tour est venu de chanter et de montrer aux enfants notre propre pièce de théâtre créée à partir du chant de Noël. Après cela, nous avons encore chanté, nous avons mangé quelque chose et nous avons passé un bon moment. Et il y avait tant de gens qui venaient à ces soirées ! C’est le bon côté de l’organisation de soirées pour toutes les générations – presque tout le monde veut venir et se joindre au travail sur la langue, lorsqu’il est proposé sous cette forme. ».

Pour renverser la tendance que connaît la langue tornedalienne, il faudra beaucoup d’aide des parents, des grands-parents et de la communauté locale et Astrid considère que les événements de ce type constituent un moyen d’élever le statut du meänkieli dans les esprits des habitants, en plus de développer leur sensibilisation à la langue.

Après la deuxième année, le projet arrivera à son terme, mais, conformément à l’objectif général, des structures de soutien et une bonne volonté auront été développées chez les parents et le personnel, afin de permettre la continuation du travail sur la langue sans qu’il y ait un projet formel ou un responsable. L’une des difficultés est que certains des enfants en âge préscolaire auront, d’ici là, été scolarisés et quitté le jardin d’enfants. Déjà, après la première année, certains enfants ont rejoint l’école et quelques nouveaux ont rejoint les deux groupes de jardin d’enfants. Il a donc fallu intégrer les nouveaux enfants dans les activités liées au meänkieli sans période préparatoire. Idéalement, il faudrait fournir un soutien continu et adéquat pour le meänkieli aux enfants arrivés à l’école polyvalente. Ces enfants ne sont plus des débutants complets en meänkieli, au contraire de la plupart des enfants provenant d’autres jardins d’enfants ; il incombera donc à l’école de développer une instruction en langue maternelle meänkieli individuelle adaptée. La moitié des réponses fournies dans le questionnaire final par les parents dont les enfants vont commencer l’école indique qu’ils souhaitent que l’école assure ce soutien. Ceux qui n’expriment pas ce souhait s’attendent à ce que l’intérêt et la compétence des enfants « grandissent naturellement » après avoir été encouragés au jardin d’enfants.

Qu’est-ce que le projet de recherche active a signifié jusqu’ici pour la revitalisation du meänkieli dans la commune de Pajala ? Est-ce la bonne façon de faire en sorte que toute la communauté prenne part au travail de maintenance de la langue, en commençant par les plus jeunes et en impliquant les parents et les personnes âgées dans le processus ? Le nombre d’enfants inclus dans le projet est très modeste et l’activité des parents est limitée, en dépit d’attitudes favorables et d’un intérêt pour le projet parmi les parents comme parmi le personnel.

Néanmoins, si l’on regarde les choses sur la durée (deux décennies), le changement au sein du climat linguistique dans la région tornedalienne est sensationnel. Alors que les militants de la STR-T ont dû se battre pour leur cause au début des années 1980 et continuer à discuter de la légitimité de leur travail de maintenance linguistique et culturelle avec leurs concitoyens tornedaliens, peu de personnes remettent aujourd’hui leur travail en cause – au lieu de cela, ils lui réservent un bon accueil et l’apprécient. Même le conflit concernant le statut obligatoire de l’enseignement du meänkieli dans les écoles de Pajala a été oublié peu de temps après avoir surgi et les enseignants comme les parents semblent aujourd’hui à l’aise avec l’inclusion du meänkieli dans le curriculum.

L’évolution des choses à Pajala est très similaire à celle de situations dans de nombreuses autres communautés minoritaires, dans lesquelles les politiques d’assimilation ont mené à un fort renversement de tendance linguistique. Lorsque la génération qui est devenue bilingue ou monolingue dans la langue majoritaire établit sa position dans la société, les attitudes changent, la langue (partiellement) perdue est revalorisée et des efforts sont lancés pour la récupérer (Crystal, 2000). Le problème que connaît ce type de développement réside dans le fait que l’intérêt envers la langue augmente fortement lorsque celle-ci est presque perdue et la revitalisation de la langue devient donc nettement plus délicate qu’elle ne l’aurait été autrement. En fait, Crystal déclare que les locuteurs des langues minoritaires devraient devenir conscients de ce schéma très commun, afin qu’ils puissent effectuer leurs propres choix en toute connaissance de cause, avant qu’il ne soit trop tard. Bien qu’une campagne d’information diffusant les conclusions de Crystal à Pajala constitue une possibilité, des efforts devraient également être entrepris pour diffuser les bonnes pratiques créées à Snickaren et Tallkotten auprès d’autres jardins d’enfants pour les établir en tant que composante standard dans les jardins d’enfants tornedaliens. Commencer avec les plus jeunes, faire participer les anciennes générations et élever le profil du meänkieli dans la vie quotidienne à Pajala pourrait être un moyen de promouvoir à la fois l’apprentissage des langues minoritaires et la démocratie culturelle dans la région tornedalienne de Suède.

Références

Boyd, Sally, « Immigrant languages in Sweden » in Guus Extra and Durk Gorter (eds), The Other Languages of Europe, Multilingual Matters, Clevedon, 2001.

Crystal, David, Language Death, Cambridge University Press, Cambridge, 2000.

Edwards, John, Language, Society and Identity, Oxford University Press, Oxford, 1985.

Fishman, Joshua, Reversing Language Shift. Theoretical and Empirical Foundations of Assistance to Threatened Languages, Multilingual Matters Limited, Clevedon, 1991.

Huss, Leena, Reversing language shift in the far north. Linguistic revitalization in northern Scandinavia and Finland. Studia Uralica Upsaliensia 21, Uppsala University, Uppsala, 1999.

Vincent, Carol, Including Parents? Education, Citizenship and Parental Agency, Open University Press, Buckingham, 2000.

 
The Role of the Head teacher in the Implementation of Plurilingual Education
Project work for pluringualism
Diversifying the language curriculum
Let's begin with the youngest
Challenges and opportunities of bilingual education
Social and economic considerations in setting up a new bilingual programme
Using a foreign language as a medium of instruction